340 000 entrées pour Kaizen, à quel prix ?

20 septembre 2024


340 000 entrées pour Kaizen, à quel prix ?


Quelques jours après la programmation en salle de la vidéo d'InoxTag Kaizen, il faut revenir sur cet "évènement”, et son traitement médiatique : les infractions à la règlementation commises par les diffuseurs n'ont été que très peu relevées, et les conséquences de celles-ci encore moins pointées. Cet évènement a été accueilli comme une bonne nouvelle pour le cinéma, sans signaler au passage qu'il condamne/menace son écosystème.


Qu'un public plus jeune paye sa place pour aller voir en avant-première une vidéo disponible dès le lendemain sur Youtube confirme qu'il se joue quelque chose de commun dans une salle de cinéma. Mais cela ne justifie pas de piétiner les règles soucieuses du respect de tous les regards, tous les désirs, et la place de chaque film sur les écrans.


La diffusion est structurée par des grandes règles, dont la chronologie des médias. On se souvient ainsi que grâce aux mécanismes de redistribution d'une taxe sur les recettes, les salles de cinéma bénéficient du soutien du CNC, comme le reste de la filière, pour assurer la diffusion de films divers sur tout le territoire : les salles rurales, mono-écrans, à l'économie fragile, mais aussi les multiplexes qui diffusent les films dits d'art et essai. La règlementation négociée entre les partenaires, tente, face au marché, d'assurer un équilibre, entre la création et le divertissement, l'audace et la routine, la fréquentation et la rentabilité. Des dispositifs législatifs dérogatoires existent, qui encadrent par exemple les diffusions pratiques dites de "hors-film" (tout ce qui n'est pas des films au sens légal du terme). Ce dispositif accorde aux vidéos, ou films destinés à être diffusés directement sur plateforme (comme Salam en 2022) des visas exceptionnels, et limite à 500 séances leur diffusion sur 48h seulement. Or, Kaizen, qui a bénéficié d'un tel visa, a été programmé dans près de 450 établissements sur plus de 1000 séances. Débattre de la nature de ces dérogations, qui tendent à faire des salles de cinéma des vitrines et rampes de lancement pour des produits ayant vocation à être diffusés ailleurs, n'est pas ici notre propos. Pas plus que nous ne rentrerons dans le débat de savoir si Kaizen relève formellement du cinéma.


Restons-en aux faits : la diffusion de Kaizen dépasse de très loin les plafonds prévus par la législation (plus du double de la limite légale autorisée) dans le cadre d'un visa exceptionnel. La diffusion massive de séances consacrées à Kaizen sur certains sites interloque également : 3 salles en simultané sur 6 dans un établissement parisien, 4 écrans en simultané dans un autre, 2 écrans sur les 3 disponibles ailleurs... Là aussi, les règles collectives de la multi-diffusion d'une œuvre sont loin de tolérer une telle concentration.

Les diffuseurs de Kaizen lui ont ainsi offert une exposition exceptionnelle (10% de la totalité des séances vendredi consacrées aux films inédits) à des horaires clefs : le vendredi à 20h, alors que les chiffres du premier week-end sont comme des couperets dans la vie des films. Cette exposition hors du commun met en danger des films et des cinéastes qui ont un besoin vital de leur fenêtre d'exposition en salles : Dahomey de Mati Diop ou Le procès du chien de Laëtitia Dosch par exemple.


Par ailleurs, le traitement médiatique de la sortie de Kaizen sans contre-point ou alerte est une aubaine pour celles et ceux qui travaillent à la fin de l'exception culturelle : ni les salles, ni les médias ne devraient se permettre la moindre complaisance à cet égard, car pour 340 000 entrées vendues pour Kaizen, combien de films et de cinéastes précarisé·es par cette invisibilisation massive ? Combien de salles à terme menacées par un système qui ne privilégiera que les gros coups éclairs au détriment du travail accompli tout au long de l'année par tous les intervenant·es du cinéma en France ? À quoi servent le peu de règles restantes, s'il est trop facile de s'asseoir volontairement dessus ?


YouTube et ses créateur·ices ne sont pas et ne doivent pas être “l'adversaire” du cinéma, mais le respect des règles est aussi synonyme de respect des autres : il s'impose à toutes et tous. C'est la condition sine qua none de la survie de l'écosystème exceptionnel dont nous bénéficions tous. 


Les cinéastes de l'ACID

Publié le vendredi 20 septembre 2024

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