En démantelant une usine pour démanteler la valeur travail, L'Usine de rien crée ici une fabrique cinématographique de tous les possibles. Le film, grande fresque sociale et politique à la fois humble et véhémente, traverse les abus vampiriques d'un système à l'agonie, non pas dans un chant partisan mille fois entonné mais par le biais d'une approche tout aussi fantaisiste que profondément ancrée dans la réalité sociale des travailleurs réifiés de l'Europe d'aujourd'hui. Vision d'autant plus cinglante que racontée du point de vue d'un pays du sud non seulement ravagé par la crise économique mais également vassalisé par l'Europe d'en haut.
L'Usine de rien est bien plus qu'un film sur le droit des ouvriers et des opprimés, il épouse en quelques sorte une lame de fond contemporaine où s'imposent de nouvelles utopies qui occupent tout un pan des citoyens du monde ne se retrouvant plus dans les valeurs du capitalisme et désirant œuvrer à sa fin.
Ereintant les théories politiques autant que les formes cinématographiques, l'Usine de rien enterre le communisme car il faudra bien sortir « du fétiche de la marchandise », l'autogestion car dans le fond c'est « exécuter contre soi la loi du marché ». Alors quel chemin emprunter lorsque l'anarchie a vécu, que le nihilisme destructeur et la sublimation « bobo » des ateliers transformés en laboratoires artistiques ne suffisent plus à inventer une société nouvelle ?
C‘est dans l'enceinte théâtralisée de l'usine que le film tente de défricher un chemin nouveau, comme une nécessaire ode à la liberté, un appel à la désobéissance civile, sociale, un chant anarcho–autonomiste où les paroles de « l'insurrection qui vient » du Comité invisible sont scandées comme les mantras d'un occident désespéré entonnant le requiem de sa propre perte. La forme cinématographique, elle, ne se plie de la même manière à aucun consensus d'efficacité, de cohérence formelle : la chronique sociale, la comédie musicale kitsch cohabitant avec des discours lénifiants cheminent ensemble pour donner naissance à un essai libre et foisonnant, jubilatoire et émouvant.
Et c'est sur le chant du poète révolutionnaire portugais Zeca Afonso que l'appel au désordre se déploie, l'œillet au fusil, annonçant peut être l'avènement d'un nouveau monde possible. Une résurrection viendra.
Publié le jeudi 12 octobre 2017