Il est des films au sein desquels nous ne pouvons pénétrer que par l'abandon de nos certitudes, de notre héritage culturel. Ici, il s'agit, avec le personnage principal interprété par Grégoire Colin, d'investir un minuscule aéroport d'où rien ne décolle, sur lequel rien n'atterrit. Un lieu, comme un sanctuaire, dont notre héros, au terme d'un audit, doit s'assurer de la conformité autant que de l'existence d'un minuscule territoire du Caucase.
Mais c'est à rebours de toute considération rationnelle que Nora Martirosyan nous entraîne. Elle s'emploie ainsi à nous démontrer qu'un territoire, un monde, n'existent en réalité que parce que nous décidons d'y croire. La réalisatrice fabrique avec minutie sa mise en scène en nous plongeant dans des paysages majestueux dans lesquels s'inscrivent ses personnages. Plans et décors ne formant plus qu'une seule matrice dans laquelle des rencontres, des amitiés naissent en dépit de toute raison. Ici, c'est par le prisme de l'émotion que se tissent des liens avec l'autre.
De la journaliste à l'ancien soldat, en passant par le directeur de l'aéroport et le chauffeur, la cinéaste crée des personnages auréolés d'une teinte mystérieuse, presque surréelle. De même, la guerre, les armes et le feu ne sont jamais loin, mais n'ont ni nom, ni visages, ni temporalité. Ils font partie du décor et sont dilués par le « réalisme magique » d'un quotidien ritualisé.
Tous ces éléments mis bout à bout trouvent une place subtile dans un récit construit en réseau. Dessinant le schème d'un territoire à délimiter, de relations inattendues à investir, nous sommes conviés à abandonner nos préjugés et, pour nous en convaincre, il faut suivre le quotidien d'un jeune garçon porteur d'une eau miraculeuse. Allégorie d'un espoir qu'on l'on pourrait distribuer à tout-va, c'est en réalité à une démonstration de la puissance de l'imaginaire que semble définitivement nous inviter la réalisatrice.
Décréter qu'une eau peut soigner, c'est tout autant pouvoir décréter qu'une frontière existe : en somme tout n'est qu'une question de foi. Un arbitraire, une esthétique qui tiennent selon la formule du poète allemand Hölderlin en cette précieuse croyance : l'homme doit habiter le monde en poète.
There are some films in which one can only engage with if they leave behind what they firmly believe in as well as their cultural heritage. In this case, in Si le vent tombe (Should the Wind Drop) we viewers, along with the main protagonist of the movie portrayed by Grégoire Colin, are invited to step into a tiny airport from which no plane ever takes off and on which no plane ever lands. Colin's character is sent to this sanctuary-like airport to conduct an audit on its conformity but his mission is also to prove the actual existence of the minuscule Caucasian country where the airport is situated.
Nora Martirosyan's story goes against any rational considerations. She applies herself to demonstrate that a territory only exists if we decide to believe in its existence. The visual style she adopts in order to do so is a very meticulous one and the landscapes in which her characters play their part are majestic. Thus the setting and the way she films it merge into one matrix in which the characters meet and become friends in spite of all logic. In the world Martirosyan created, the emotions her characters feel are the only reasons why they forge bonds of friendship.
From the journalist to the former soldier and from the director of the airport to the driver, all the characters of the movie share an almost surreal aura of mystery. In a similar fashion, war, along with weapons and fire, always seems to be raging quite near but it's a war that has no name, no face, no temporality. It seems to be only part of the setting and to get diluted in the “magic realism” of a very ritualized daily life.
In a subtle way, each one of those elements finds its own place in a story built like a network in which everything is connected. The movie shows us a territory whose frontiers need to be defined and unexpected relationships that need to be lived. We viewers are invited to relinquish our prejudices. In order to do so, we only need to follow the comings and goings of a young water-carrier whose water miraculously heals. This idea could be seen as an allegory of hope but in reality the filmmaker seems to invite us to consider it as a demonstration of the power of imagination.
Deciding that water can heal is exactly like deciding that a frontier exists: both decisions are only a matter of faith. This aesthetic of arbitrariness could be summed up by German poet Hölderlin's precious belief: man must inhabit the world as a poet.
Publié le vendredi 19 juin 2020