A propos de SI LE VENT TOMBE

Lucas
Simoni

Programmateur

On arrive dans le film de Nora Martirosyan en taxi, entre chien et loup, au lever du jour. Pourtant, avant de nous donner une image elle nous offre un son, un souffle sourd et tendu. Avant de nous proposer de découvrir le paysage, elle nous montre la silhouette fantomatique d'une clôture qui défile en bord de chemin. Dans la lumière intermittente des phares de la voiture, chaque plot limite et mesure le paysage qui scintille et se révèle peu à peu à nous. C'est une vue subjective depuis l'intérieur du véhicule car nous nous trouvons dans la position du voyageur qui s'apprête à traverser une frontière, à changer de monde. Ces plans d'automobile qui sillonne(nt) le paysage sauvage en suivant un chemin serpentant réactivent non seulement la mémoire du cinéma – ils nous rappelleront peut-être l'arrivée de Jack Torrance à l'hôtel Overlook – mais surtout le souvenir des récits fantastiques : on pense notamment au Jonathan Harker de Bram Stoker, clerc de notaire, petit fonctionnaire, appelé à parcourir les inquiétantes terres des Carpates en voyage d'affaires.

Alain D. – merveilleux Grégoire Colin – est lui aussi envoyé dans un territoire étranger, cette fois dans le Caucase, et comme son prédécesseur victorien, armé de sa raison et des outils précis et efficaces de son métier, il devra arpenter et mesurer un bâtiment, l'aéroport, qui domine la plaine comme un château – ou une cathédrale – et faire l'expérience des croyances qui habitent la région. Ces croyances ne s'inscrivent plus dans le domaine du fantastique mais dans quelque chose de plus profond, d'ancestral, de réel. Comme le brouillard, la fumée, les champs de blé et le tarmac, elles se déploient comme un voile sur les plans parfaitement cadrés du film et enveloppent Alain D. en faisant tituber les siennes.

Parce que c'est dans le hiatus entre la raison et la foi que SI LE VENT TOMBE nous propose de nous immiscer, en interrogeant les convictions d'un peuple qui par nécessité doit établir les règles de son existence, définir ses frontières et même les reculer au gré des besoins de la situation. Le Haut-Karabagh est un pays rond comme la terre, où tout le monde se connaît, il y a des aéroports comme des cathédrales, des sources d'eau bénie et des vaches qui s'appellent Ophélia.

C'est peut-être la plus belle idée du film que de faire du combat de vie et de mort une question de foi mais surtout de rendre perceptibles les liens invisibles qui unissent les habitants en dressant, comme une topographe, une cartographie où les traditions ancestrales et les espoirs portés sur l'avenir définissent continuellement le territoire de leur présent.

Lucas Simoni

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Programmateur


Cinéma Orson Welles

Publié le jeudi 22 octobre 2020

Paroles de programmateurs

Si le vent tombe

Un film de Nora Martirosyan
A PROPOS DU FILM

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