Dans The Soiled Doves of Tijuana, Jean-Charles Hue capte l'univers d'une rue ouverte au sein d'une ville-frontière, magnifique territoire, sorte de huis-clos en extérieur. Sa caméra si profondément physique atteste du positionnement de son propre corps dans les entrailles de Tijuana. Ses cadres délimitent un petit enfer et nous absorbent en son sein, pour longtemps nous hanter parce que les humains, les animaux et les choses y sont décrits au plus près, dans une danse avec la mort. Le religieux mêlé aux pratiques toxicomanes, la vierge et les transes, la recherche de survie des personnages abîmés rappellent leur sort comme pour mieux le gommer, le nier.
La succession des icônes - des madones des marges - et les situations dans lesquelles l'auteur s'implique dans sa libre recherche poétique et spirituelle sont d'une éblouissante pureté. Il nous offre sans retenue son abandon, son amour pour ces damnées innocentes et le film construit un tombeau de lumière, un temple voué à la grâce et à la beauté aux confins de l'humain. Son regard kaléidoscopique fait advenir les contours sidérants de ces personnalités, et sentir le point de rencontre physique du réalisateur avec elles ; cette intimité va poursuivre un chemin sous-terrain pour inexorablement creuser la matière humaine, et nous permettre de dépasser l'image de la détresse. Foi mystique, sourires, défonce, fraternité, déréliction, les personnages opaques et déchirants sont dépeints par Hue, sans complaisance aucune, que leur fragile droit à la beauté.
On assiste ainsi à quelque chose de rare et précieux : l'acte documentaire passe de l'enregistrement du réel à sa sublimation et du constat sociologique aux questions existentielles profondes. Que ce soit devant un autel improvisé, sur un trottoir ou dans une cour, l'humanité est questionnée ailleurs, et d'une autre manière.
Publié le lundi 30 novembre -1