THE SOILED DOVES OF TIJUANA

Un film de Jean-Charles Hue

THE SOILED DOVES OF TIJUANA

Un film de Jean-Charles Hue

France - 2023 - 81 min

Je vais régulièrement à Tijuana depuis plus de 15 ans, et j’y croise depuis toujours les silhouettes fantomatiques de femmes qui hantent les lieux. Je les appelle « les dames blanches ».

EN SALLE

Sorti le 06 décembre 2023

En salle

À propos de THE SOILED DOVES OF TIJUANA

Dans The Soiled Doves of Tijuana, Jean-Charles Hue capte l'univers d'une rue ouverte au sein d'une ville-frontière, magnifique territoire, sorte de huis-clos en extérieur. Sa caméra si profondément physique atteste du positionnement de son propre corps dans les entrailles de Tijuana. Ses cadres délimitent un petit enfer et nous absorbent en son sein, pour longtemps nous hanter parce que les humains, les animaux et les choses y sont décrits au plus près, dans une danse avec la mort. Le religieux mêlé aux pratiques toxicomanes, la vierge et les transes, la recherche de survie des personnages abîmés rappellent leur sort comme pour mieux le gommer, le nier. 

La succession des icônes - des madones des marges - et les situations dans lesquelles l'auteur s'implique dans sa libre recherche poétique et spirituelle sont d'une éblouissante pureté. Il nous offre sans retenue son abandon, son amour pour ces damnées innocentes et le film construit un tombeau de lumière, un temple voué à la grâce et à la beauté aux confins de l'humain. Son regard kaléidoscopique fait advenir les contours sidérants de ces personnalités, et sentir le point de rencontre physique du réalisateur avec elles ; cette intimité va poursuivre un chemin sous-terrain pour inexorablement creuser la matière humaine, et nous permettre de dépasser l'image de la détresse. Foi mystique, sourires, défonce, fraternité, déréliction, les personnages opaques et déchirants sont dépeints par Hue, sans complaisance aucune, que leur fragile droit à la beauté. 

On assiste ainsi à quelque chose de rare et précieux : l'acte documentaire passe de l'enregistrement du réel à sa sublimation et du constat sociologique aux questions existentielles profondes. Que ce soit devant un autel improvisé, sur un trottoir ou dans une cour, l'humanité est questionnée ailleurs, et d'une autre manière. 

Aline Fischer

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Cinéaste


Paroles de cinéastes

À Propos de THE SOILED DOVES OF TIJUANA

Après s'être intéressé à la la communauté yéniche en France, cela fait une quinzaine d'années que Jean-Charles Hue plonge dans le monde interlope de Tijuana, refuge pour les junkies et les déclassés venus de tout le Mexique ou de ces Etats-Unis qui s'étendent au-delà d'une grille qui vient trancher la cité d'un coup de scalpel. Une ville sans cesse en expansion, mouvante, dont nombre de quartiers sont rongés par la criminalité et la drogue. C'est là que Hue plante sa caméra, ramenant des courts métrages (Tijuana Jarretelle le Diable, El Puma, Yvon el tuerto and Pretty Eyes), des documentaires (Carne Viva, Crystal Bullet, Tijuana Tales, Topo y Wera), un long métrage de fiction (Tijuana Bible), un vaste travail photographique et aujourd'hui ce Soiled Doves of Tijuana.

Ce temps long lui permet de connaître, comprendre et apprendre à filmer Tijuana, sa lumière, ses couleurs, sa singularité. Hue ne cache pas la violence, les drames mais n'oublie pas en chemin d'évoquer la beauté de cette ville, sa féerie. C'est ainsi qu'il inscrit ses personnages déracinés dans le mouvement plus vaste de la métropole, sa transformation urbaine, le développement du tourisme, la gentrification. De la même manière qu'il met de la fiction dans le documentaire et vice versa, il s'attache à rendre poreuses toutes les frontières attendues : l'humour et le drame, la poésie et le trivial, l'addiction et la liberté.  

Ce temps long passé auprès de ceux qui n'ont plus rien d'autre que le trafic, les petites combines, la prostitution et le repos de la drogue nous offre un regard juste sur ces oubliés, hommes et femmes (surtout des femmes) filmées sans condescendance, apitoiement ou jugement moral. Des personnages captés dans leur dénuement, leur fragilité mais aussi leur force. Certain.e.s ont complètement perdu.e.s pied mais d'autres, branlant.e.s, restent debout malgré les désastres, grâce à leur foi religieuse, grâce à leur empathie et leur souci de l'autre, même s'il s'agit d'un pigeon blessé...


Olivier Bitoun (Cinéphare)

Olivier Bitoun


Paroles de programmateurs

À Propos de THE SOILED DOVES OF TIJUANA

Difficile de savoir où nous sommes, seul le titre donne une piste : Les Colombes souillées de Tijuana. Ce qui est certain, c'est que nous sommes aux bords du monde, de notre monde globalisé, et que Jean-Charles Hue semble bien décidé à nous les révéler « à sec », sans pommade humanitaire ni indignation documentée. On sait déjà son entêtement à dé-peindre l'états des lieux, des corps (d'hommes surtout) du côté des Gens du Voyage (La BM du Seigneur), mais là, fichée comme un kyste tout contre la frontière US, la Tijuana que Jean-Charles Hue nous jette à la face sans ménagement, n'offre même plus les repères rassurants, les connivences culturelles, linguistiques, qui nous liaient encore un peu aux communautés gitanes du Sud de la France. À Tijuana, il regarde longtemps, il cherche, il repart, revient, filme, insiste, persiste et signe. La distance abyssale du filmeur aux filmées, diminue peu à peu, balayée par une empathie d'artiste rare et précieuse, à des années-lumière du reportage social-gore.  


 

Car ce sont cette fois des femmes qui règnent sur le film, et que la caméra du filmeur approche patiemment. Elles n'ont plus rien, rien que leur corps abimés, invendables, et qui pourtant recèlent une beauté indicible mais effective si, comme le réalisateur, on sait l'articuler. Leur vie ici ne tient qu'à un fil, à un fix, à la violence des mâles, mais elles se portent avec douceur au secours de petits animaux blessés, plus démunis encore. Elles se parent complaisamment de tout ce que la violence du capital produit de bimbeloteries toc, de religions clinquantes, de fast fashion, de mauvaise poudre, prêtes à être filmées comme pour une dernière fois. Et peu importe les dérisoires et indécidables conversations de junkie, les cris d'un bébé oublié dans le couloir, peu importent leur religiosité hybride, matinée de santeria bas de gamme, et leur profond désir de normalité cheap, car Yolanda et les « colombes souillées » tiennent debout, s'accrochent à l'existence avec cette puissance vitale renversante que peu d'artistes savent capter.


 

Jean-Charles Hue ajoute donc un nouveau chapitre à son geste tijuanais avec la même détermination solitaire que mettait une de ses « Dames Blanches » à démonter un trottoir poussiereux de la Zona Norte. Vient-il sauver ou être sauvé ? Là n'est pas la question. Mais au final, c'est bien de salut, de rédemption qu'il s'agit, face au broiement irrémédiable des marges encore frémissantes du monde, ou bien devant notre indifférence centrale, quand toute politique reste lettre morte, et toute croisade, vaine. Reste la force d'un geste de cinéma qui, au-delà du tout-venant éthico-documentaire, redonne à Tijuana son droit à la beauté, et au spectateur, un âpre moment de grâce.

Vincent Dieutre

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Cinéaste


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