La Raison du plus fort est un film étonnant et détonnant. Le film s'ouvre sur d'impeccables travellings parcourant les couloirs d'une usine récemment abandonnée : la voix du réalisateur surgit et s'interroge : « que sommes-nous en train de faire ? »
Des usines sont démolies, des prisons sont construites. Quand le travail disparaît, ça surveille et ça punit. Patrick Jean le montre et petit à petit le sentiment que ce film nous regarde se fait de plus en plus palpable. Ce nous est incluant, il ne rejette pas le constat amer d'un certain état du monde sur des forces obscures, bien au contraire. Le « nous » est un miroir. Nous, habitants de démocraties occidentales. Avec délicatesse et détermination le cinéaste nous entraîne alors dans une dérive de Bruxelles à Marseille où il juxtapose au gré des rencontres les marges et les centres de nos villes. Ce sont ces juxtapositions qui donnent son sens au film, ce sont elles qui lui donnent sa valeur historique. Le sens naît du côte à côte, de l'entre deux, de la comparaison et il fait ainsi un travail que seul le cinéma est en mesure de produire. N'étant pas soumis à un évènement précis dont il lui faudrait rendre compte il peut alors accomplir un vrai beau geste cinématographique en nous donnant à voir son propre regard.
« Le seul futur des démocraties occidentales aujourd'hui, c'est la menace de leur fin... Et l'on voit bien du reste comment, aux promesses d'un monde meilleur, se sont substituées les exhortations au rassemblement contre toutes sortes de menaces, comment à l'idée de conquêtes démocratiques s'est substituée celle du maintien d'une froide survie... » écrit le philosophe Jean-Paul Curnier. Il me semble bien que c'est de cela dont parle La Raison du plus fort, c'est rare, lucide et beau. C'est politique et poétique, c'est POÉ-LITIQUE.
Publié le mardi 12 septembre 2017