À propos de Inch'allah dimanche

Serge
Le Peron

Inch'Allah dimanche est grand. C'est peu de dire que le premier film de fiction de Yamina Benguigui jette un regard inédit sur un moment déterminant de l'immigration maghrébine en France : celui du regroupement familial décidé par Giscard en 1974. Ce n'est pas seulement le regard qui est inédit, c'est le sujet. Et pour cause. C'est même la cause qui est au cœur de Inch'Allah dimanche, qui en fait tout le prix cinématographique et politique, tant il révèle la part d'ombre de cette décision massivement vécue comme humanitaire à l'époque, son point aveugle précisément : celui des femmes embarquées (c'est bien le mot), à leur insu, dans ce vaste mouvement de populations. Aussi ce regard est-il fulgurant : de l'arrachement à la famille d'origine (et la soumission sans recours aux fonctionnements les plus archaïques qu'il allait signifier dans l'exil), à la résistance solitaire puis solaire (sous l'œil curieux, indifférent ou méfiant des autochtones français) de l'héroïne du film, femme algérienne parmi tant d'autres, soudain investie d'une force qu'il ne faut pas craindre d'appeler historique. Car cette solitude, Yamina Benguigui en fait une raison impérieuse d'agir, en même temps qu'une nécessité absolue de survie, qui donnent à son personnage une énergie décuplée : animale, instinctive, lumineuse, solaire, oui. Si Inch'Allah dimanche est grand c'est non seulement qu'il donne à voir ce qu'on n'avait pas vu jusque-là, mais qu'il opère sur une ligne de crête dramatique, où chaque geste, chaque mot, chaque pas osé puis franchi par son héroïne est donné comme une condition irréductible de la Vie général, en même temps qu'un risque maximal pour sa propre vie. C'est au prix de ce tragique permanent (qui n'exclut d'ailleurs pas de grands moments burlesques : les deux pôles se nourrissent l'un l'autre depuis toujours) qu'elle bouscule les rôles sociaux assignés à chacun des personnages (le mari, la belle-mère, les enfants, les voisins, la voisine…), qu'elle parvient à brouiller les cartes, à dérégler les conventions, et finalement à changer le monde autour d'elle. Yamina accompagne le combat de cette femme, avec une précision déjà avérée dans ses documentaires. Mais ses partis pris filmiques font également preuve d'un rare talent de mise en scène, et ce n'est pas la moindre qualité de ce film étonnant. La subtilité avec laquelle elle capte les gestes et les regards des une(s) et des autres, les croise, les articule, les hiérarchise, donne tout simplement ses lettres de noblesse à la notion même de cinéma de fiction.

Serge Le Peron


Publié le vendredi 15 septembre 2017

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Inch'allah dimanche

Un film de Yamina Benguigui
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