Un film qui change le regard
Comment parler de notre temps ? Comment raconter la violence d'une réalité qui est celle de la Campanie et de la camorra - mais pas seulement. Comment faire rêver le spectateur, lui permettre d'espérer - mais sans abandonner le réel. Comment le faire ‘'décoller'' à partir des débris défigurés de la splendeur du monde, au plus près de cette défiguration ?
C'est l'alchimie que réussit Pietro Marcello dans son film Bella et perduta. De ces débris, il fait du neuf. Du plomb, il fait de l'or. Cette transmutation, il nous l'offre et elle nous transporte. Son film nous transporte.
Le mouvement intérieur qui l'a mené de Tommaso, le berger gardien du palais confronté aux réalités les plus sordides, aux figures mythiques d'une Italie éternelle, il nous le communique, nous le vivons après lui.
Le bouleversement qu'a été pour lui la mort soudaine en plein tournage, de Tommaso, devenu son ami, il le dépasse, il le transcende. Il en fait même le moteur secret de son film.
Le cinéma est sublimation du réel, ou bien il n'est pas. Nos souffrances et nos révoltes, si vraies et si justifiées soient-elles, n'ont aucun sens pour le spectateur si elles ne donnent pas naissance à une beauté partagée – une beauté unique qui donne lieu à une expérience unique.
Qu'un film puisse provoquer en nous cette expérience unique, même si ce film s'inscrit bien sûr dans une filiation (on pense ici à Olmi et à Rossellini), qu'une telle expérience ait pour effet de nous arracher à nos lieux communs, à nos habitudes de penser, pour nous ouvrir la porte d'un autre monde, c'est bien cela que nous attendons du cinéma. Car, à la différence de bien des films, ce n'est pas seulement une “vision” ou un ‘'point de vue'' que nous propose Bella e perduta, c'est un monde. Un monde imaginaire qui existe par la force des images et des personnages, par leur présence mystérieuse et pourtant réaliste, un monde qui prend, le temps d'une projection, la consistance d'un monde réel.
Après la vision de Bella e perduta, lorsque la salle s'est rallumée, la réalité ne nous apparaissait plus tout à fait la même… Bella e perduta avait changé notre regard.
Publié le mercredi 11 octobre 2017