Patric Chiha invente un dispositif fictionnel sans lequel le documentaire ne pourrait arriver. Des saynètes, des lieux-studios (bar, chambre d'hôtel, quai, garage), où à travers des petites trames-prétextes, les “frères” vont (s')improviser, (se) raconter, (s')engueuler, (s')inventer, (se) mentir, (s')aimer, (se) fabuler, et donc, (se) révéler. Dans ces limbes où fiction et documentaire s'évanouissent, il y a la profondeur et l'ampleur d'un espace réflexif, un miroir, où en se révélant aux autres, à nous, les sujets se révèlent à eux-mêmes. Comment sinon, montrer ce qui toujours veut demeurer caché, ce qui appartient au commerce de la nuit, à l'incertitude du vice, aux relations sauvages entre les hommes et à l'amour, la fraternité, qui même dans l'enfer animent encore les âmes des damnés ?
Il y a sans doute deux manières d'approcher l'enfer. Soit le rendre tout entier au jugement de la morale, en faire donc un monde à part où l'humanité n'apparaîtrait plus que dans ses aspects les plus morbides, les aspirations les plus sombres et les actes les plus obscènes. Soit le considérer comme un monde complet, le seul possible pour certaines existences, et ne délaisser ni la pesanteur, ni la grâce qui animent et subliment ses habitants.
Patric Chiha, pour le meilleur, emprunte cette deuxième voie. Dans une mise-en-scène amoureuse, il développe un film où seul les mots ont la charge du récit de cet hors-champs sordide (mais pas toujours), perdu dans un temps sisyphéen et où la lumière, très belle, orangé serti dans l'écrin violet de la nuit, enveloppe la danse des corps sublimes de cette jeunesse perdue.