Calino Maneige est une fable sociale mêlant curieusement le documentaire à une fantaisie poétique candide et juste. Calino et Maneige (surnom pour Nejma) s'aiment. Mais leur première scène d'amour laisse entrevoir leurs dissensions à venir. Le jeune homme n'a qu'un but dans la vie : travailler suffisamment pour pouvoir se payer un logement avec sa belle, être enfin vraiment avec elle. Nejma, plus adulte, craint cet amour possessif et pense à son avenir, à son épanouissement personnel. L'histoire, très simple, montre le lent processus de dégradation de la santé mentale de Calino, inadapté aux difficultés et absurdités du monde du travail, du fric. Cette démonstration réaliste est étonnamment parsemée de trucages primitifs très réussis, figurant les visions et pensées de Calino, son amour idéalisé de Nejma. Cet amusant artifice a pour effet de distancier le mélo amoureux, d'en montrer l'illusion. S'ensuit une série fascinante de scènes documentaires désopilantes, où Calino essaie à toute force d'apprendre un métier, sans conviction et sans patience. Toutes les scènes, très libres narrativement, sont excellemment interprétées par une pléiade d'acteurs choisis avec soin pour leur originalité de ton, leur sens burlesque contrepoint intelligent et nécessaire au désespoir latent du jeune homme, très crédible Gérald Thomassin. Calino Maneige montre comment deux jeunes êtres à la limite de la pauvreté et de la délinquance sont interdits de s'aimer par la « dure » réalité sociale, en intégrant bien, au fond, que cet amour n'existait pas vraiment puisque fondé sur une immaturité, un malentendu. Tout cela est évoqué avec une manière délibérément et courageusement naïve, au service finalement de notions humaines assez subtiles, antiromantiques. L'illusion de cet amour est dénoncée et magnifiée à la fois, dans un double et intelligent mouvement d'adhésion au personnage principal et de distanciation comique, documentaire et fantastique.