Que furent rares les occasions, ces dernières années (dix, vingt, plus encore ?), de détacher de cette masse vombrissante jusqu'à l'inaudible, que l'on nomme encore cinéma, les quelques films qui nous rappellent comment nos vies ont basculé au détour d'une projection. Le spectacle cinématographique s'est majoritairement paré d'œuvres bien faîtes, aux rondeurs bourgeoises, telles que l'entendait Molière. Entendez des films malins, prompts à polir l'image de formes familières. Nous n'avions pas compris que le cinéma, c'était cela, lorsque nous découvrions Pialat, Rozier, Eustache ou Faraldo, et plus largement Pasolini, Lubitsch, Ray ou Mizoguchi. Tout bonnement parce que le cinéma, ce n'était pas cela. Et nous parvient aujourd'hui Nuits blanches sur la jetée. Et le cinéma redevient gravé dans nos esprits comme un beau rêve qu'on se rappelle longtemps après le réveil (pour reprendre Dostoïevski). Paul Vecchiali a marqué nos vies de cinéphiles, puis celle de passeurs. Nous parlions la même langue, car il n'existe que des langues, comme paradigmatique préalable. Des langues que nous avons parlées, et qui se sont (presque) éteintes, disons pour le plus grand nombre. Or pour celui qui montre les films, comme on montre la lune, cette nouvelle œuvre de Paul Vecchiali, qui en contient tant d'autres en son sein, reconstruit ce champ de l'espace partagé. Projeter dans sa salle Nuits blanches sur la jetée, c'est ainsi redonner sens aux choses, aux actes, à l'idée que nous nous faisions, précisément, de l'image en mouvement. C'est retrouver ce compagnon de randonnée au détour d'un sentier. Les lignes de fuite et les pierres d'achoppements des personnages y sont chorégraphiées avec tant d'intelligence, leur monde intérieur balancés aux quatre vents de la jetée, comme acte dansé, à l'image de ce que souligne Fédor : le monde n'est qu'un rêve vécu de l'intérieur. La musique du duo Catherine Vincent est ainsi le point d'orgue d'une partition subtile où le rythme des dialogues alors rebâtis, du jeu des deux acteurs principaux, du montage, de l'éclairage, parvient à nous plonger dans l'élégant temps d'aimer.