Du chaos intérieur au chaos extérieur
S'il épouse les caractéristiques d'un portrait filmé, Quelle Folie ne s'arrête pas à une simple rencontre. Il décentre l'objet du film vers quelque chose de plus ambitieux encore : saisir, derrière ce visage, une logique de pensée qui ne pourrait être fidèlement retranscrite, tant elle s'affranchit des continuités et des causalités traditionnelles. C'est une des questions principales qui structure le travail de Diego Governatori : comment canaliser, fixer et donc définir cette parole autistique surgissant sous la forme d'une logorrhée et qui ne suivrait que ses règles propres, elles-mêmes mouvantes. D'emblée, son protagoniste fait le constat qu'il ne parvient pas à transcrire par écrit ses pensées. Le cinéma, via notamment sa capacité à jouer sur la netteté et le flou (idée que l'on retrouve dès le premier plan du film), le tangible et l'intangible – semble donc être le seul médium par lequel ce discours verbal et non-verbal puisse être appréhendé. La pensée d'Aurélien est filmée comme un chaos intérieur, un entrechoc de réflexions qui se coupent, se complètent... Ce débordement de mots est ainsi dédoublé par l'expérience que propose Diego Governatori à son protagoniste : le plonger au cœur de l'une des plus grandes fêtes populaires au monde, les férias de Pampelune. Quelle Folie sort alors de ses gonds, quitte l'espace mental d'Aurélien pour envahir l'espace physique de l'écran : le discours prend vie et chair, il se transforme en chaos extérieur, les corps enfiévrés des fêtards s'agglutinent, tous habillés de la même façon, le niveau sonore sature. La féria devient immédiatement un lieu métaphorique qui ne cesse de convoquer des images, comme celle, explicite, du taureau lâché dans la foule.
Filmeur/filmé : une confrontation
Quelle Folie résulte d'un dialogue permanent entre le filmeur et le filmé. Si c'est une question fondamentale du cinéma documentaire, Diego Governatori la pousse ici dans ses retranchements en ne se contentant pas d'un échange mais en osant la confrontation et l'accrochage. S'il n'apparaît jamais à l'écran – bien qu'il filme de temps à autre le preneur de son comme un rappel visuel de son dispositif – le réalisateur intervient à de nombreuses reprises, relance Aurélien, le coupe, le met à ses contradictions, le sermonne. Mais il garde aussi au montage les moments où, au contraire, c'est son ami qui le tance du regard, l'avertit de son malaise et de ses doutes. En abolissant la distance qui sépare les deux hommes, Quelle Folie ébranle donc un tabou en mettant en crise le pacte de non-intervention avec le réel, traditionnellement respecté. Ici, au contraire, Diego Governatori – dans un style « rentre-dedans » qui peut rappeler le cinéma de Werner Herzog – ne fait que négocier avec ce réel, s'y heurte parfois mais pour mieux le modeler, lui donner un sens. C'est dans cet inconfort que la parole d'Aurélien peut s'imposer avec autant de force, parce qu'elle a enfin l'espace pour s'infiltrer dans les discours et les formes conventionnelles et ainsi, mieux les briser.