Un garçon, beau et cassé (Pablo Nicomedes), figure de Christ sorti d'Ordet résurrection incluse, pose un vinyle sur sa platine. Tandis que le garçon fixe, triste, la photographie de sa copine au mur, on entend le son d'un vieux film américain, où une certaine Madeline révèle à un certain Arthur qu'elle le trompe avec Jerry. Le garçon mime le play-back d'Arthur, fait naître une scène de choses mortes emboîtées (bande-son non identifiable, image d'un instant perdu, relation terminée), puis tue la photo.
Spectres. Arthur n'est pas Robert Mitchum, on a vérifié. Le jeune saint idiot s'appelle Franky Pastor et l'exaspérant Arsène (Olivier Gourmet) ne le quitte pas d'une semelle. Duo de théâtre et de fantaisie, l'un étant semble-t-il acteur et l'autre son mentor furieux, père ou manager, on ne sait, décidé à présenter le jeune échalas à Sarrineff, sorte de Samuel Fuller ou de Nicholas Ray mythique, apparemment réfugié au-delà du cercle polaire et qui doit reconnaître en lui la star qu'il est. Direction donc le nord, en passant par une Alsace revisitée Kaurismäki et cow-boys, l'Allemagne et la Pologne. C'est un road-movie : le scénario se construit par rencontres, pannes, nuits d'hôtel, et aussi un cinéma de spectres, puisqu'il s'agit de «révéler» Franky comme une photo argentique, lui faisant rejouer sans cesse l'inexistant, le projetant jusqu'à obtenir une illusion vérace.
Le film, leur premier, d'Olivier Babinet et Fred Kihn (ce dernier, photographe notoire, notamment pour Libération), ne raconte pas ce geste, mais le constitue, puisqu'il révèle non Franky mais Pablo Nicomedes, et que le jeu auquel se livrait Franky dans la première séquence (faire du lip sync sur le son d'un autre) règle la structure de Robert Mitchum est mort et sa réception : délaisser la proie pour l'ombre. On verra ainsi le film s'inviter (avec un flingue) dans la célèbre école de cinéma de Lodz (oui, celle de Polanski et Skolimowski), en Pologne, pour que Franky donne corps au fantôme de sa déception amoureuse devant une caméra. Il réinterprète la scène du début, tirée du fictif «Fatal Angel», avec l'aide des étudiants.
Poussant ses spectateurs dans son miroir, le film propose en ligne, outre un making-of fleuve, un concours vidéo : «Rejouez la scène "Fatal Angel" de Robert Mitchum est mort.» Les cinq meilleures vidéos sélectionnées finiront en bonus DVD. Mais aussi, c'est parce que Babinet et Kihn ont vu une vidéo de Nicomedes sur son site, où il racontait que sa copine l'avait quitté, qu'ils l'ont élu : éloge du DIY et des lanternes magiques qui peuvent, dit Kihn, «transformer, dans un plan, un bout de carton en quelque chose de vivant».
Néoréaliste. Pour que Franky revive, quant à lui, il faut du cinéma moderne. Et si Mitchum est mort, c'est une figure de femme mûre, Katia, rencontrée en Pologne comme au détour d'un film néoréaliste, qui lui rendra l'amour. Enfin, pour que ce trip «mélancomique» fonctionne, un dieu absent est nécessaire : le rôle est tenu par Bakary Sangaré déguisé en psychobilly à banane, planqué la plupart des plans dans le moteur de la voiture et porteur d'une solide morale esthétique : «Le pôle, ça va être beau : y a rien.»