À propos de Of Men and War [Des hommes et de la guerre]

Fleur
Albert

Cinéaste

Ils n'ont rien vu en Irak ou en Afghanistan, ils ont tout vu. Atroces dégâts collatéraux. Ils errent dans la béance d'une partie d'eux-mêmes, inadaptables à la société américaine, à la famille, aux gestes les plus purs de la vie quotidienne. Violence, panique, rage, honte, sentiment d'humiliation, pulsions suicidaires. À l'ère des frappes chirurgicales de CNN, se déploient enfin les mots face à l'indicible expérience. La mémoire d'un brancardier qui n'a pu sauver une vie, celle d'un jeune soldat dévasté par la vision de corps enchevêtrés après une explosion… Tripes à classer. Photos à ne pas sortir des poches. Cadavres à dénouer. Recouvrement. Circulez ! Les conducteurs de blindés avancent, loin des bannières étoilées de leurs terres et de la mémoire de leurs pères. Ailleurs. Toujours. Il est sans doute plus facile de faire la guerre que d'en revenir… La fragilité d'un bébé à bercer ou la beauté des Pénélopes qui les accompagnent ne font plus battre leurs cœurs meurtris.

Dans cette forteresse de Fort Apache – le centre thérapeutique Californien – défilent la vie d'hommes en colère contre eux-mêmes ; ils se livrent collectivement, à l'écoute de leurs frères d'armes et de celle de Fred, le thérapeute aux faux airs de Geronimo : « Personne ne se sent jamais prêt à faire ce travail. Mais personne n'en est jamais mort… »

La douleur d'un membre -fantôme- n'est pas toujours celle qu'on croit. La patience des épouses (pour celles qui restent) qui s'accrochent à ces colosses aux pied d'argile n'y fait rien. Les cuisses des blondes majorettes qui défilent le 4 juillet non plus. Ces anciens soldats font leurs jobs de héros : ces jour-là, hagards, ils regardent la foule qui ne saura jamais ce qui se cache derrière l'agitation d'un oriflamme de fortune. Brûlures du feu sur autant de muscles d'Hercule. Et parce que de verre, se brisent les os…

Le film est construit par strates, de façon non chronologique. Le cinéaste établit des portraits en cercles concentriques, mettant à jour la vérité subjective et sensible de chaque séance par le montage, proposant à chaque fois un éclairage nouveau sur l'imaginaire de ces hommes. ll y a le présent du récit qui est la thérapie, et les scènes familiales tournées en dehors de l'institution, comme vent d'un autre temps, d'un autre monde. Il y a parfois 3 heures et parfois 4 ans entre chaque scène. Ces mouvements de rupture épousent ceux de l'inconscient : la forme du film évitant tout risque d'obscénité confessionnelle et la grossièreté télévisuelle si commune aux films à « études de cas ». Jamais le spectateur ne guette les progrès de ces hommes, il accompagne leurs métamorphoses.

Comme les héros de Ford, dans un décor grandiose et désertique, au détour d'une promenade que font deux vétérans dont l'un plus âgé, au seuil d'une falaise, on sait que le danger rôde toujours. Mais ce ne sont pas les Indiens qui guettent, menaçants. Les territoires sauvages sont en nous, l'ennemi intérieur.

Doux et brutal, à l'image de ses personnages, OF MEN AND WAR [DES HOMMES ET DE LA GUERRE], grand film d'action sur la pensée, opère de façon organique un fulgurant mouvement de vitalité et d'humanité retrouvée.


Fleur Albert

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Cinéaste


Publié le lundi 18 septembre 2017

Paroles de cinéastes

Of Men and War [Des hommes et de la guerre]

Un film de Laurent Bécue-Renard
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