Pour la suite du monde

Clément
Schneider

Cinéaste

Il y a quelques mois, j'écrivais, avec l'enthousiasme peut-être catégorique d'un cinéaste de pas encore trente ans, que « quiconque est un jour allé dans une salle de cinéma sait que, de tous les endroits du monde, c'est un lieu où jamais nous ne nous trouvons seuls ». Conclusion d'un texte qui se voulait appel collectif à penser les transformations et les risques qui pesaient – et pèsent toujours – sur la fabrication des films que nous aimons.


Aujourd'hui, alors que l'épidémie et le confinement nous ont obligé à déserter les salles de cinéma, il est sans doute encore plus nécessaire de prendre le risque d'imaginer l'avenir. D'oser l'imaginer. Avec audace, avec fierté. Avec humilité, aussi. Nous ne jouerons pas les faux-prophètes : ceux-là planifient des bifurcations, qui se révèlent être parfois le trajet retour le plus direct vers le « toujours-déjà » des pragmatistes ou des fatalistes. Nous, plus modestement, ne savons pas où nous mèneront nos pas, mais nous savons que nous voulons arpenter des chemins de traverse.


Des chemins de désirs, d'idées et d'horizons ouverts ; des chemins suffisamment larges pour que nous y avancions de concert, refaisant l'expérience incommensurable de la joie d'être ensemble, dans un ici et maintenant habité par nos mots et nos regards, entre lesquels ne s'interposeront plus écrans d'ordinateurs, masques et filtres…


Je ne suis qu'un cinéaste, faute d'autre chose. Je veux dire que je fais des films parce que je ne sais sans doute pas faire grand-chose d'autre. Alors face au maelström mondial dans lequel nous sommes pris, je pense parfois : à quoi bon le cinéma, n'y a-t-il pas plus urgent ? Le cinéma indépendant, celui que j'essaie de défendre et de fabriquer, n'est-il pas renvoyé d'un seul coup à son statut de petite chose de moindre importance ? Il y a soudain tant à penser – et panser – à fonder ou à refonder : tout et rien de moins qu'un monde…


Mais c'est pour cela peut-être que, finalement, nous aurons besoin du cinéma et des cinéastes. Pour la suite du monde. Pas pour nous distraire, mais pour enraciner l'avenir dans le présent et continuer d'opposer aux puissances de morts qui nous assaillent et nous assailliront encore l'infatigable persistance de toutes les formes de vie que le cinéma – et les arts, en général – fait bruire vingt-quatre ou vingt-cinq fois par seconde.


Ouvrons ici, donc, un chemin de traverse : faisons l'expérience du partage de nos désirs, de nos rêves, de nos idées pour un après qui en vérité commence maintenant. Le possible n'est pas devant nous : il est dans le sol sur lequel nous marchons. Descendons de nos tribunes – les journaux en sont déjà pleins – et allons gratter un peu dans la terre. Car là encore, je veux y croire : nous ne serons pas seuls.

Clément Schneider

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Cinéaste


Publié le mercredi 15 avril 2020

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