« On ne ment pas mais on ne tombe pas dans la vérité ». C'est Amou, un personnage, qui propose ce titre pour le film. Il insiste : chacun pourra l'interpréter comme il veut, ce titre. Et puis il faut inventer.
Créer quelque chose à partir de rien. Faire avec le néant ou le trop peu. Chacun des personnages de ce film fait ça : il invente. Il transforme comme il se doit la vie du travail, et le travail lui même. Ce travail physique, dru, qui consiste à transformer des bêtes en viande. Le travail. Aliénation, forcément. Rythme durs, fatigue.
Et comme en creux, tout le reste : le colonialisme, la lutte, les classes.
Le cinéaste filme cette invention, ce mouvement vital des personnages dans le quotidien du lieu. Chacun le fait comme il peu, au mieux. L'amoureux aime avec passion, le poète chante les étoiles, la jeunesse rêve d'ailleurs lointains sans trop savoir ce qu'ils contiennent, l'oiseau clandestin interroge sa destinée.
Et le lieu est là, grand corps traversé par les hommes et les bêtes qu'on mangera, leurs peaux et leurs odeurs, la chaleur qu'on sent sur les hommes et la pluie qui parfois bouscule le paysage.
L'abattoir, un lieu depuis lequel on voit.
Le monde entier donné depuis cette fenêtre.
Les lampadaires ocres et les néons violets. Les murs qui racontent les jours et les nuits, le sang des bêtes en flaques par terre. Le précaire. Une tension permanente. Les séries doublées en français et les chansons qui disent l'amour avec des mots immenses, presque écrasants. Presque.
Youcef dira que dans sa tête il y a un rond-point et mille routes, qu'il ne sait pas laquelle est la sienne. Chaque homme dans ce lieu est face à tous les possibles. Les vieux, les jeunes, tous sont filmés de manière ouverte. Par là ? Par ici ? Tant que je vis, tout peut arriver et la révolution viendra. Ici aussi. Peut-être. Mais le pire guette toujours, une ombre de tristesse gluante comme le sang des bêtes qu'il faut laver. Qui n'empêche ni la joie ni la musique. Connaissez vous les étoiles ? Benzema a refusé de chanter la Marseillaise. La parabole reçoit mal. Et les carcasses dansent leur gigue lourde.
Pas de mensonge, mais pas de vérité non plus. On est dans la vie vivante et on sourit. Des grands sourires troués.
Publié le mercredi 11 octobre 2017