Ce qui s'est passé entre eux n'a guère d'importance ; mais une chose est sure, Sébastien et Stéphane sont restés amis, amis pour la vie. Des secrets, ils en ont partagé beaucoup et Sébastien sait que Stéphane ne connaît pas son père, un militaire américain comme il y en avait pas mal dans la France des années 60 et qui firent rêver une génération de jeunes et jolies provinciales. Retrouver ce père absent, Stéphane n'y tient pas tant que ça ; c'est le projet de Sébastien, un projet de cinéma, qui va l'y décider. Combler le vide laissé par le père, oui mais en cinémascope et devant une caméra amie, autant complice d'une « traversée » des apparences, celles des paysages rêvés d'une immense Amérique de western, qu'arbitre d'un règlement de comptes psy.
Sébastien (Lifshitz) fera le pari du road movie, campé dans un filmage patient, attentif et ébloui. Stéphane (Bouquet), quant à lui, protégera son intégrité de personnage romanesque par le pari de l'écriture : une voix off toute de retenue, d'introspection lucide, d'abandon distancié, intégrant dans ses doutes la critique constante du projet même. Cela donne un film à deux voix, à deux temps, un objet de cinéma précieux où chacun explore en douce les limites de l'aveu, balisant un lieu instable où s'opérerait enfin une révélation fugace, le dit en repoussé d'une amour-amitié profonde. Pas de psycho-gore en vue, toutes les Mireille Dumas du monde seront bien dépitées ; du père, de l'obscénité fatale des retrouvailles, nous ne saurons rien (ou « presque rien » selon une esthétique du moins-disant chère à Sébastien Lifshitz), reste alors « La Traversée » d'un continent l'autre, le cheminement fragmentaire des êtres, un itinéraire géographique et intime d'où chacun, cinéaste, personnage mais aussi spectateur, sortira un peu différent, autre. C'est ce que l'on est en droit d'un film, on l'oublie trop souvent.