Still Recording est traversé par la conviction folle mais magnifique que l'art peut recréer les liens que la guerre fait voler en éclats.
Armés de caméras, ces étudiants ont quitté dès les premiers jours de la révolution leur univers protégé de Damas, sous contrôle du régime, pour rejoindre Douma, dans la banlieue proche. Pendant quatre ans ils établissent, dans cet univers libéré et utopique, qui va être ébranlé par les combats puis par un siège interminable, un réseau de filmeurs qui font corps avec les habitants meurtris, avec les combattants qui résistent. 450 heures d'images émergeront. Dans ce dispositif dont ils sont les acteurs volontaires, ils n'affrontent pas simplement la mort par solidarité avec une population modeste. Ils posent l'acte de documenter la guerre comme une façon d'en briser l'absurdité.
Pour nous, spectateurs, ce sont des images que l'on voit rarement de la guerre en Syrie. Leurs caméras pudiques conversent avec tous ceux qui traversent leurs plans et reconstituent, derrière les figures de la guerre, la réalité des êtres : un combattant sur le front qui appelle sa mère pour la rassurer, cet autre qui parle avec un soldat d'Assad par téléphone satellite pour comprendre son point de vue ou cet homme qui s'acharne à faire du sport malgré la désolation. La dignité de leur cinéma est une victoire arrachée à l'horreur.
Comme pour affirmer leurs croyances dans le partage et les pluralités de cultures face à un monde dévasté par l'intolérance, ils assument, souvent avec humour, les différences qui auraient pu les tenir séparés des gens auprès desquels ils luttent. Ainsi ils s'amusent du « gâchis » en regardant des rebelles détruire de l'arak dont ils se régalent, filment leurs fêtes où garçons et filles, défoncés et dénudés, exorcisent leurs douleurs, et témoignent d'un quotidien aussi fait de rires et de vitalité.
Loin d'une naïveté désespérée, leur entreprise met en branle une foule d'interrogations. A cette question finale : « Pourquoi tu filmes ? », posée à brûle-pourpoint à l'un des cameramen par un jeune guerrier, le film répond par une cruelle évidence : pour conjurer la mort et faire que la vie puisse continuer à jaillir, même si ce n'est que d'une image.