JEAN, HENRI, ROGER et CHRISTOPHE
L'année où Montillet est sacrée championne olympique de descente chez les Mormons, où Vidal et Amiez font un et deux du slalom spécial, l'année où Christophe fait l'Olympia en veste parme sombre après 27 ans d'absence, j'y reviens de suite, cette année-là, cette année-là et pas une autre, ni celle d'avant ni celle qui suit, Jean, Henri, Roger, tous les trois, a refait un film, Lulu. Je veux bien croire au hasard, à la conjonction des planètes, à la couche d'ozone qui est percée de partout, à Davos et à Porto Alegre, et aussi à Noir Désir qui fait se bidonner le patron de la télévision de service public, je sais bien qu'il y a des signes et qu'on les voit qu'après. Mais bon, le fait est là, Jean, Henri, Roger, tous les trois, a refait un film, "Lulu". Je connaissais Christophe comme tout le monde. Un peu mieux quand je me suis acheté l'album Bevilacqua, en 1996. Et depuis, j'attendais le suivant qui est finalement sorti en 2001, l'année d'avant Lulu, le nouveau film de Jean-Henri Roger, tous les trois. Et quand j'ai appris que Christophe allait chanter à l'Olympia en 2002, j'ai immédiatement pris mes places. Entre-temps, j'ai vu Lulu dans une petite salle de projection des Champs-Elysées, pas loin, je crois bien, du disquaire où Christophe travaillait comme vendeur quand il était tout jeune.
Je vous parle de ça, j'étais pas né alors si ça se trouve, je me fais un film. Mais je suis quasiment sûr de l'avoir lu quelque part, il me semble même que d'autres chanteurs, genre Hervé Vilard, travaillaient là aussi. Je me figure un peu la chose comme les "Cahiers du Cinéma" de la chanson, les types se retrouvaient là, se tenaient au courant des sorties, allaient voir les concerts ensemble, cherchaient des paroliers et des producteurs. Ils étaient amis, s'étaient pas déjà fâchés et s'envoyaient pas encore des saloperies à la gueule. Il m'est très difficile de vous raconter le concert de Christophe, il a duré deux heures avec un entracte au milieu qui m'a permis d'aller fumer une petite cigarette dans le hall, il s'est terminé avec un générique projeté sur le mur du fond, où on a pu lire le nom de tous les musiciens et d'ailleurs je vous recommande particulièrement le bassiste, l'accordéoniste, le sax et le type des percussions qui nous a fait taper dans nos mains sur le dernier rappel, un drôle de type, vraiment touchant avec son sourire à tomber.
Chaque fois que Christophe nous donnait le profil, mettait un genou à terre, traversait la scène en claudiquant, il a sûrement un truc aux genoux, j'étais au bord de pleurer, avec la poitrine qui me serrait. Du coup, ça m'a fait repenser à Lulu, à Jacno qui a fait la musique, et à cette chanson qu'il chante à un moment donné, Désamour. C'est de ça que parle le film, du fait qu'on peut toujours y aller, on ne désaime pas une fois qu'on a aimé. On n'essaye même pas, vaut mieux pas, on n'a pas envie. Lulu le personnage, joué par Elli Medeiros, ne désaime pas une seconde, et les hommes qui l'aiment pas davantage, qu'ils soient patron de bar et mari (Gérard Meylan), écrivain-skipper pédé des Saintes (Jean-Pierre Kalfon), flic déraciné buveur de Gueuze pression (Bruno Putzulu). Les hommes de Lulu l'aiment comme elle voudrait être et ça s'arrête là. Toutes les Anita du monde n'y pourront rien mais ça, il faut aller voir le film pour saisir. Lulu a voulu être une femme, elle est refaite de partout sauf de l'amour. De ce côté-là, rien n'a changé depuis ses 16 ans.
Le film de Jean-Henri Roger, tous les trois, me ramène direct au concert et aux chansons de Christophe parce que, lui aussi, il est plusieurs et il est refait de partout. Il a du mal à tenir dans sa veste parme sombre tellement il a fait de muscu mais il ne perd pas une occasion de s'offrir à nous, en icône de lui-même et du siècle d'avant. Comme Lulu qui se donne à tous ses hommes. Et ça en fait trembler la caméra de Renato Berta mais je vous dis rien.Je pourrais vous parler de la manière dont Jean-Henri Roger conduit son film, comment il veille à ne pas nous perdre en route, à nous garder avec lui sur le bateau, je pourrais vous dire aussi que c'est à chaque fois la même chose avec lui, ses Saintes-Maries-De-La-Mer sont comme son Marseille de "Cap Canaille" et comme son Pigalle de "Neige", vous n'avez plus envie d'en partir, mais je préfère pas. Je pourrais vous dire que Lulu m'a fait pleurer mais vous avez déjà compris ou alors c'est que vous n'aimez pas Christophe et je vous plains, mes pauvres. Vous cassez pas le cul, allez voir Lulu. Ça me revient, pour ceux qui aiment, il y a aussi dans le film trois minutes de digression pas du tout utile au récit où Guédiguian et Ascaride font de l'huile. C'est goûteux.