The Saddest Music in the World

Un film de Guy Maddin

The Saddest Music in the World

Un film de Guy Maddin

Canada - 2003 - 99 min

Lady Port-Huntly, magnat de la bière de Winnipeg au moment de la grande dépression de 1933, organise le concours de la musique la plus triste du monde pour promouvoir son bar. Des musiciens arrivent alors du monde entier, appâtés par les 25.000 dollars promis aux vainqueurs.

Avec :
Isabella Rossellini , Maria De Medeiros , Mark MC Kinney , Ross MC Millan et David Fox

Sorti le 22 février 2006

Sortie non communiquée

À propos de The Saddest Music in the World

Le scénario est inspiré d'une nouvelle assez cruelle de l'auteur des VESTIGES DU JOUR, Kazuo Ishiguro. Isabella Rossellini joue ici le rôle d'une baronne de l'industrie de la bière, mutilée des jambes suite à un accident de voiture, par un médecin alcoolique raté devenu chauffeur de taxi. Elle apparaît pour la première fois en blonde à l'écran, pour incarner un personnage intemporel et sulfureux d'infirme, appartenant à la famille des monstres de foire comme la femme à barbe et le bébé à deux têtes. Des années après son accident, la baronne organise une opération de marketing pour sa bière en lançant un concours international du « chant le plus triste du monde », avec un enjeu de 25 000 dollars. Des « musiciens tristes »de toute la planète arrivent alors de façon surréaliste alors à Winnipeg (où vit Maddin), réputée, en 1933, pour être la ville la plus morne et ennuyeuse du Canada : flûtistes siamois, joueurs de cornemuses, percussionnistes d'Afrique, orchestre Klezmer, guitaristes Flamenco accompagnant les lamentations de mariachis... Mais nous nous intéressons plus particulièrement au candidat des Etats Unis, un producteur de Broadway ruiné et cynique, de retour dans sa ville natale (Winnipeg), accompagné d'une amnésique appelée Narcissa (Maria de Medeiros). Il retrouve à cette occasion son père (l'ancien médecin alcoolique) qui représente le Canada et son frère déguisé en serbe, l'un des candidats favoris de la compétition, jouant du violoncelle et dont la silhouette rappelle celle de Vincent Price dans LA TOMBE DE LIGEIA. Réunion de famille dont les membres s'affrontent au-delà de la musique en déterrant d'anciens secrets...Le premier pays éliminé s'avère être le Canada et son élégie musicale bien dépressive évoquant la mort de soldats canadiens ! Et à la fin de l'histoire, les Etats Unis l'emportent... Le film peut être vu sur ce plan comme une satire symbolique sur le devenir de la musique populaire. Le gospel, le blues et les complaintes juives sont l'expression de la souffrance oubliée de musiciens inconnus dont Broadway et Hollywood se sont emparés pour fonder les racines de la comédie musicale américaine à succès. Il est dans la nature humaine, et en particulier dans le tempérament américain, d'oublier le chagrin et la souffrance, de refuser le fait qu'ils ont une existence. Et le film, mêlant de façon personnelle rire et émotion, paraît évoquer cette amnésie. Le film a par ailleurs été tourné au début du conflit irakien. Et ce contexte peut inciter le spectateur à y voir le reflet de la peur et de la tristesse du monde, teintées d'anti-américanisme, face à la guerre. Quand on parle d'un film, on rend compte en général de la qualité de la progression dramatique et de l'interprétation des acteurs, de la façon dont les codes de narration sont respectés ou transgressés. Mais on parle beaucoup plus rarement d'un autre niveau, beaucoup plus souterrain où sont en jeu des échanges très secrets et mystérieux entre le cinéaste et le spectateur, dans le champ de ce que Jung appelait l'inconscient collectif. Avec ce chef d'œuvre insolite aux allures de vieux film expressionniste allemand qui semble sortir du coffre aux trésors d'un vieux grenier rempli de toiles d'araignées et qu'on projetterait pour la première fois , j'ai l'impression de me retrouver comme un enfant allant au cinéma pour la première fois. Je retrouve ce même émerveillement naïf face à une toile sur laquelle s'agitent des silhouettes en noir et blanc aux contours un peu flous, comme voilées par des nuages. Je suis envoûté par cette matière brumeuse et granuleuse (virtuose utilisation des pellicules super 8 et 16 mm) parfois rayée, associée aux sons chuintants et sourds, très imparfaits d'une bande son optique évoquant les tous premiers films sonores de l'histoire du cinéma. Ce film surréaliste me ramène aux souvenirs mi- réels, mi- inventés de mes premiers pas de spectateur de cinéma. J'ai souvent la curieuse sensation de faire un voyage dans le temps, d'être un spectateur de 1933 assistant à la projection d'un film du début du parlant (impression confirmée par le léger désynchronisme ponctuel entre les lèvres des personnages et leurs voix) ... Et puis ponctuellement, plusieurs fois dans le film, le rêve éveillé en noir et blanc du spectateur est soumis à une translation dans le temps avec des séquences merveilleusement colorées, éblouissantes, qui surgissent de façon inattendues, vous plongeant dans les balbutiements formidablement inventifs des début du technicolor. La démarche de Guy Maddin est celle d'un poète-chercheur en quête de féérie, retrouvant ses yeux d'enfants pour redécouvrir ce qu'est le cinéma. Les fantômes d'Eisenstein, Murnau, Borzage, Fritz Lang et bien d'autres planent ici et là d'une séquence à l'autre, comme convoqués dans une sarabande burlesque euphorique. Maddin réussit la prouesse de faire jaillir la nouveauté en prolongeant les expériences visuelles du cinéma muet des origines. Son film est totalement moderne, inventif, inspiré, libre, expérimental, continuellement audacieux et pourtant si distrayant et plaisant qu'on pourrait même le conseiller aux enfants. (Le film articulant plusieurs niveaux de compréhension). Je suis sorti de la projection de ce film avec le désir de le visionner une seconde fois pour sa richesse thématique, et surtout l'envie de découvrir tous les autres films de Guy Maddin. 

Alain Mazars

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