Nos regards

Emmanuel
Gras

Cinéaste

Si nous, cinéastes, continuons à faire des films envers et contre tout, c'est grâce à notre croyance en l'existence d'un regard personnel, singulier, qui peut être partagé. 

C'est cette même croyance en la richesse de regards différents, qui fait que nous, cinéastes de l'ACID, choisissons de présenter et de soutenir bénévolement les œuvres d'autres auteurs. Pour paraphraser Proust, la seule véritable découverte, le seul mystère à révéler, ne se dévoile pas en voyageant vers des planètes lointaines, mais en voyant l'univers avec les yeux d'un autre, de cent autres, en voyant les cent univers que chacun d'entre eux voit.

Notre malheur, en tant qu'homme, serait d'être enfermé dans notre imagerie solitaire. 

En défendant pied à pied la diversité des films dans les salles, c'est contre cet enfermement que nous luttons, contre une vision étriquée du monde. 

L'hyper concentration des écrans sur quelques films continue, condamnant les autres à une lutte fratricide et poussant le public à porter des œillères. Ainsi, pendant que les 10 premiers films occupent chaque semaine 93% des écrans, 40 % des films sortent dans moins de 20 salles…

A cette situation récurrente s'ajoute désormais le risque de démantèlement de l'aide Canal+ à la distribution, outil indispensable à la sortie en salles de quasiment la moitié des films français. La remise en cause de cette aide, de même que les réformes en cours sur le documentaire, obligent désormais à se poser la question frontalement : lorsque l'industrie se montre de plus en plus frileuse à financer des films non formatés, les pouvoirs publics vont-ils enfin affirmer leur rôle de protecteur de la création de demain et réguler le marché avec les outils dont ils disposent ? En déplaçant les curseurs des aides publiques par exemple dont nous savons désormais que ce n'est pas l'Europe qui les limite, mais des politiques nationales inféodées à la logique du marché. « Produire pour et par le marché », voilà un objectif raisonnable pour les managers du cinéma mais quel piège funeste pour les artistes !

Dans ce contexte hostile, la solidarité est loin d'être un vain mot et doit être animée par des actes. C'est le sens de l'ACID, association libre de cinéastes aux points de vues dissemblables qui expérimentent la mise en commun de leurs opinions. 

Il faut croire que l'expérience fonctionne puisque le public, à Cannes et tout au long de l'année, se montre toujours plus curieux. Avec les yeux des spectateurs ce ne sont plus seulement des centaines d'univers qui se révèlent mais des milliers de regards qui se croisent et permettent autant de rencontres. Paul Eluard disait « il existe un autre monde et il est dans celui-ci », partons ensemble à sa découverte.


Emmanuel Gras

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Cinéaste


Publié le jeudi 09 novembre 2017

Edito Cannes

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