SOUVENONS-NOUS DE L'AVENIR

Les dernières préconisations de l'autorité de la concurrence et les prises de positions récentes dans la presse montrent que le langage libéral absolument décomplexé a contaminé toutes les strates de la pensée. Le septième art ? Pour beaucoup, les films ne sont plus que des produits qui doivent être immédiatement rentables en salles, sans aucune mise en perspective historique, globale, ou même économique au sein d'un écosystème. D'autres appellent à abolir les quelques mécanismes historiques de régulation du marché, inventés pour préserver un tant soit peu de diversité en création comme en diffusion. 

Comme la société, le cinéma n'échappe pas aux inégalités croissantes et il doit se repenser en prenant en compte son hétérogénéité. Certaines semaines, 10 films monopolisent jusqu'à 78% des écrans. Sur les 20 films réunissant le plus d'entrées en 2018 en France, seulement 4 étaient des créations originales… 40% des films français sortent aujourd'hui sur moins de 25 copies, et parmi eux les films Art et Essai voient leur nombre de séances reculer de 35% en 5 ans. Pourtant, dans le même temps, le nombre d'écrans et de séances a augmenté davantage que le nombre de sorties. Et tous les films passent dans cet incroyable paradigme : quel que soit le nombre de séances, il faut faire ses preuves en 5 jours !


Comment oser même parler de déficit de rentabilité sans évoquer le déficit de visibilité de certaines œuvres ? Ne restera-t-il bientôt en salles que les films produits par les grands studios et leurs plateformes, les chaînes de télévision et leurs filiales, et les groupes intégrés ? Que deviendra l'indépendance ? De quelle diversité parlera-t-on alors ?


Quand la société évolue, notre tâche est de penser ces évolutions et de les accompagner de la façon la plus inventive et constructive qui soit, pour « défendre l'héritage et dans un même mouvement se défendre de cet héritage » (Jack Ralite). Rappelons nous des grands penseurs de la diversité culturelle, de leur sens de l'intérêt général. Car il ne s'agit pas là de défendre des intérêts particuliers ou privilèges ancestraux comme certains aiment à le faire croire, mais bien de défendre le droit à un imaginaire collectif.


Ne laissons pas d'autres repenser seuls ce monde à venir et menons une réflexion publique sur la place nécessaire des indépendants afin de – et nous reprenons à dessein l'expression d'Aragon – : « se souvenir de l'avenir », ensemble.

Publié le mercredi 06 mars 2019

Édito

Cinéastes de l'ACID

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